L'USINE A CHAUSSES DE LAVOUX

Publié le par Les Amis du Patrimoine Lavousien

Jamais l'une sans l'autre...
Jamais l'une sans l'autre...

I sé bein qu'ol'est à peine créyable mais à Lavoux y'a eu une usine. Ol'té point conséquent. Ol'té pas coumme tchelles usines qu’i voyions dans l'journal avec des boulites(1) peurtout et des cheminées qui crachont de la poéson pour faire queurver l'pauve r'monde. Noute usine, a l'était toute petchite : y'i fesiont des chausses (2). Y'appelions ça l'usine à chausses.

N'empèche qu'a dounnait du travail aux droillères, parce qu'ol'té surtout des droillères qui y travailliont. Sitout sorties de l'école, après le certificat d'études, a l'aviont le choix : a restiont chez y'elles aider yeu mère, ou bein a alliont a la tcheue des vaches, ou bein a fesiont des chausses.

Ol'té pas coumme maintenant où faut qu'à fassiont pien de stages avant de travailler ( ou bein nigeasser(3) au chômage ) boun’gens.

Y'où qu'al'té tchelle usine? ol'est pas écartable. On passe devant l'entrée du cimetière puis de la copète. On prend la ruette qui rattrape la route de Liniers en passant derrière l'église. Ol'est le petchit bâtiment qui fait l'angle du cimetière. L'on bouché la devanture mais, en boulitant(4), on voit le loubier(5) au piafond qu'ékiairait les machines. L'on mit un sens interdit, l'aurait été plus utile autefoués quand tout tchau monde s'égaillait dans la ruette à la débauche.

Coume y'avait pien de droillères dans tchelle usine, o y'avait souvent des drôles a virouner autour et à bireiller(6) par les carriaux. O faisait de l'animation dans le coin.Y’avait pas besoin de faire ine maison de jeunes ou de la tchulture pour l’animaton tchulturelle coume le disont asteure.

Maintenant y'a pu rein, ol'est pus la mode des chausses : les femmes en portont pus. A portont des collants coumme a disont. Qu'alé collants, ol'est pu fins que des arantèles (7), o m'étounerait qu'o tène chaud aux jambes. Y'en a qu'ont des ptchites mouches de collées peurtout d'sus,à tchi qu’o sert ? Ol’é dezard pour les faiseuses d’embarras qu’aimont bein être bireuillées par les houmes.

Mais tchi sait ! la mode o va o veint, o change tous les ans p'tète bein que la mode des chausses r'veindra. A pourrait p'tète bein r'prendre noute usine.

(1) Boulite : Petite ouverture par laquelle on regarde

(2) Chausse : Bas de femme

(3) Nigeasser : Travailler sans rendement

(4) Boulitant : du verbe bouliter, regarder par une boulite

(5) Loubier : Ouverture vitrée dans une toiture

(6) Bireiller : Regarder avec curiosité

(7) Arantèle : Toile d'araignée

"L'usine à chausses" (chaussettes) a été créée à Lavoux vers 1920. Elle était située dans l'actuelle rue du Petit train, derrière l'ancien cimetière.

L'usine à chausses

L'usine à chausses

Il fut un temps envisagé de la transférer dans l'actuelle allée du Clos Saint Martin dans un nouvel atelier construit à cet effet.

Usine à chausses jamais utilisée

Usine à chausses jamais utilisée

Cet atelier qui confectionnait des chaussettes de toutes tailles a également confectionné des gants pour l'armée. Marcel Arlot père et Jean son fils en ont successivement été les dirigeants.

Ils étaient aussi propriétaires d'un atelier de confection sur Poitiers. l'ensemble était géré sous forme d'une société anonyme à capital et personnel variables dite Association Coopérative de Consommation de Poitiers.

L'atelier permettait régulièrement à une dizaine de jeunes femmes de travailler, souvent dès qu'elles sortaient de l'école à l'âge de 14 ans. Elles étaient payées à la tâche. La paye n'était pas bien épaisse mais l'ambiance était plutôt détendue, précise une ancienne ouvrière, particulièrement lorsque Carmé Vidiéla, la chef d'atelier s'absentait !!

Elles travaillaient sur des métiers à chaussettes de taille réduite.

Exemple de métier circulaire à chaussettes du début du XXème siècle

Exemple de métier circulaire à chaussettes du début du XXème siècle

La petite taille de ces métiers rend vraisemblable le travail de 10 personnes dans ce bâtiment de peu d'ampleur. (voir la photo de l'usine à chausses en début d'article)

L'atelier a cessé ses activités vers 1952 et un certain nombre de ces ouvrières d'alors sont allées travailler (en vélo et en vélomoteur) à la Pile Leclanché à Chasseneuil-du-Poitou.

Nous connaissons les noms des dernières personnes ayant travaillé dans l'atelier. Il s'agit de (pour la majorité, il s'agit de leur nom de jeune fille) : Mesdames Lucienne, Mauricette, Françoise et Yvette Brisson, Madeleine Langlois, Adrienne et Louisette Casteuble, Madeleine Gauthier, Odette Thévenet, Colette Trinquet, Michèle Boutet, Andrée Maître, Suzanne Goudeau, Paulette Dupin, Yolande Sabourin, Jacqueline Paqueraud et les deux soeurs Vincent.

En 2011, lors d'une fête de Lavoux, 6 anciennes ouvrières de "L'usine à chausses" se sont fait photographier devant l'ancien atelier.

Quelques ouvrières devant l'Usine à chausses. De gauche à droite : Paulette Dupin, Yvette Brisson, Michèle Boutet, Odette Thévenet, Mauricette Brisson et Lucienne Brisson

Quelques ouvrières devant l'Usine à chausses. De gauche à droite : Paulette Dupin, Yvette Brisson, Michèle Boutet, Odette Thévenet, Mauricette Brisson et Lucienne Brisson

Elles n'ont pas alors manqué d'évoquer de nombreux souvenirs.

Aujourd'hui en France, il reste quelques entreprises de fabrication de chaussettes, parmi lesquels figurent entre autres, Doré Doré, Bleu Forêt, Labonal, Kindy....mais une paire de chaussettes sur trois vendues dans le monde est fabriquée dans la ville chinoise de Datang par les 10 000 entreprises de cette région. Grâce au faible coût de la main d'oeuvre et une logistique exceptionnelle, la région propose les coûts de production les plus bas du monde !!!

Seule la chaussure sait si la chaussette a des trous

Proverbe créole

Sources :

Mémoire collective, Actes notariés, Wikipédia

Réalisation :

Alain Georgel, Robert Granseigne (notamment le texte en patois) et Chantal Popilus

Participation :

Lucienne Brisson

Photos :

Fonds documentaire des Amis du Patrimoine Lavousien (APL)

Publié dans Les brèves d'histoire

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M
Je me suis régalée à lire ce début d'article en patois... je vais d'ailleurs le transmettre au parrain de mon mari adepte de ce parlanjhe.<br /> Nous arrivons d'Alsace où nous avons fait halte à Dambach, à l'usine Labonal.
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C
L'auteur de cet article, Robert Granseigne est également l'auteur d'un ouvrage paru aux Editions le Picton, Poitiers, 2013, &quot;Contes en langue poitevine&quot;.<br /> Peut-être verrons-nous sur ton blog quelques images de l'usine Labonal, nous en serions enchantés. A lundi sans doute pour notre journée de l'amitié.