SAINT EUTROPE OU SAINT BORROMEE ?
De mémoire centenaire de Lavousiens, cette statue, que l'on peut voir, sur la gauche en entrant dans l'église en début du bas-côté, serait celle de Saint Eutrope. Une légende lui est d'ailleurs attribuée, "La légende des bras brisés de Saint Eutrope", dont nous vous avons déjà relaté l'histoire.
En 1968, notre statue est inscrite à l'inventaire général du patrimoine culturel. Le doute s'installe, son habit ressemblerait davantage à celui de Saint Charles Borromée, il serait donc possible que ce soit lui que la statue représente. Elle est alors datée du XVIIème siècle.
Pour le vérifier, nous allons remonter le temps au travers des différents documents trouvés concernant l'église Saint Martin de Lavoux et tenter par la lecture de ces derniers d'en savoir plus.
Le 10 mars 1845, un inventaire très détaillé de l'église de Lavoux, ainsi que de son contenu et du presbytère est dressé par la fabrique (1).
Sont citées les statues qu'elle contient :
"- Une statue en plâtre de la Sainte Vierge
- Une statue en plâtre de Saint Martin
- Une statue de Saint Eutrope en pierre
- Deux petites statues en plâtre"
Quelques années plus tard, un autre inventaire de l'église de Lavoux et du presbytère est réalisé par la fabrique de la dite église au moment du départ de l'abbé René Leclerc et de l'arrivé de l'abbé Jean Henry Delaporte Dutheil. On y trouve, la même liste de statues complétée par :
" - Une autre plus petite de l'Immaculée conception"
Cette énumération est suivie de la description des autels de l'église en ces termes :
"Le grand autel en pierre en forme de tombeau, est entouré des quatre côtés d'un triple rang de marches en pierre, le marche-pied est un parquet de chêne ; l'autel est recouvert d'une table en bois blanc. Le gradin et le tabernacle à double face, sont garnis d'ornements en pâte. L'autel de la Sainte Vierge surmonté d'une niche, est entouré de trois côtés d'un double rang de marches en pierre. Le marche-pied est en parquet de bois blanc ; le gradin est en bois blanc peint. L'autel de Saint Eutrope est en tout semblable au précédent. Les trois autels sont entourés de balustrade à barreaux carrés en bois. Deux bancs pour les offices de l'autel dans le sanctuaire. Douze bancs en membrures de chêne pour les enfants du catéchisme et de l'école. Un petite tabouret dans la tribune."
Nous voyons là, que non seulement l'église de Lavoux possède une statue de Saint Eutrope, mais aussi un autel Saint Eutrope.
Plus tard, l'inventaire fait le 1er mars 1906, au moment de la séparation des églises et de l'état est quant à lui beaucoup moins descriptif. On ne parle que d'une nef et des deux autels latéraux en pierre.
Le doute commençait donc à disparaître, on parle beaucoup de Saint Eutrope dans les différents documents concernant la vie de l'église. Il subsistait cependant encore un peu.
La découverte du testament en date du 19 septembre 1548, de Messire Jehan Giraud, prêtre demeurant à Lavoux au village de la "Chaulmynière, paroisse de Saint Eutrope de Lavoux" (2) va résoudre cette énigme.
En effet, il demande qu'à son décès sont corps soit "ensépultuer en l'église Saint Eutrope de Lavoux" (3). Sans doute s'agit-il de l'autel Saint Eutrope cité précédemment.
A l'analyse de ces éléments, nous pouvons affirmer que Saint Eutrope était bien présent dans l'église de Lavoux en 1548.
Or, à cette date, celui qui deviendra Saint Charles de Borromée, évêque italien, n'avait que 10 ans. Il est né le 2 février 1538 à Aroma en Italie. Il n'avait donc pu être canonisé à cette date. Par contre, Saint Eutrope, évêque de Saintes dès les premiers siècles de notre ère, disposait, y compris localement d'un certain nombre d'église, chapelle ou autel à son nom.
Comme quoi, "L'habit ne fait pas le moine". D'autre part, notre statue de Saint Eutrope à Lavoux date au moins du XVIème siècle sinon des siècles précédents et non du XVIIème.
Notes et sources :
(1) La fabrique était instituée dans chaque paroisse, elle assurait la responsabilité du fonctionnement matériel et financier des biens à disposition de la paroisse et était composée du curé, du maire et de cinq à neuf élus en fonction du nombre d'habitants de la commune. La fabrique fut supprimée par la loi de séparation des églises et de l'état en 1905.
(2) ADV, minutes notariales de Maître Charles, 1537-1552
(3) Cahiers Raveau, 118, Médiathèque de Poitiers
Bulletin de la société des archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, T.13, 1893
Réalisation : Chantal Popilus
Participation : Alain Georgel et Thierry Peronnet
Photo : Fonds documentaire de l'APL