LES TIREUX DE CHAILS

Publié le par Les Amis du Patrimoine Lavousien

Une équipe de carriers

Une équipe de carriers

Le monde desiont « Mais tchi que l’fesont tchés troés bounhoumes à se r’trouver peur bavasser su la piace. Le seriont quand maême bein mieux chez yeux à boère ine tisane, à jouer à la belote ou r’garder la télé ». Quasiment tous les jours quand o fesait biau l’étiont là, assités su un banc. Les troés vieux copains se retrouviont :Tchupiat tchi begassait (1) tchèques foués quand que le s’énervait, Tétaut qu’était natre (2) coume un vieux bouc et Chebiate qu’avait les entendouères ramolzies. L’étiont counnus de tout le monde car l’aviont bein souvent raconté yeux z’histouères de jeunesse quand l’étiont carriers. Dans noute péyis o y’avait des carrières de piarre peurtout et on était carrier de père en fils autefoué.: Chébiate, fort coume in bù tchi dansait avec ine barre à louper (3), Tchupiat qu’était capable de passer la neut à jouer à la manille coinchée (4) et Tétaut tchi faisait la goule pendant mé de tchinze jours quand on le faisait bisquer.

L’aviont teurjous taillé les morciaux de piarre en carrière. Affubiés d’ine tchulote de v’lour rapetassée aux j’neuils par ine pièce neùe tchi faisait ine tache bure, la ceinture de flanelle bein serrée autour du ventre peur pas attraper un chaud r’frédi (5). On peuvait les voère su ine vieille photo à coùté de yeux outils avec un verre de rouge à la main. Mais l’époque des carriers était passée et le jour où ils ont défunté on ne les a pas les abrié (6) avec yeu verre coume de coutume autefoué peur les carriers (7).

Tchupiat était accoubié avec ine fumelle grousse coume ine javelle qu’était teurjous en train de gencer (8) la piace et de fourgouner ses meubles peur les faire teurluter.(9) Dès qu’al avait un petchit moument a prenait son piûmail (10) peur épousseter toutes les petchites saloupries que y’avait de posées peurtout :souvenirs ramenés de tchèques voyages ou dounnés par des copins, petchits bouhoumes en verre, en porcelaine, en coquillages et maême ine tour Eiffel dans ine boule y’où qu’o neigeait en la secouant. Dès que son gars rentrait à la maison, o fallait tchi change d’affutiaux pour pas gorèter et monter su des patins tchi manquiont de le faire cheure à chaque enjambée. Le se sentait pas benaise dans tchel endret l’avait teurjous peur de laisser des tracis (11) derrière li ou de casser tchèque chouse. Le se tenait plus souvent dans son tet à inventiounner des bricoles ou rapetasser ine outil. Le ne rentrait chez li que pour manger la soupe et la dormitouère.

Chez Tétaut o y’avait souvent de la chaline (12) dans l’air avec sa beurgeouse qu’était bein abedassée (13) depis qu’al avait viellzie. Al avait ine tête pus dur qu’un chail et l’étiont teurjous en train de se grimouner. O l’éloisait quasiment tous les jours.Yelle desait qu’a comprenait pas peurquoé a s’était acoubié avec ine arou (14) de maême. Li racontait que l’avait pas de chance parce que le s’était mal enfumellé. Le passait biaucoup de temps sous son hangar à rabistoquer son vermorel ou ine invention de soun’idée. L’allait dans son renfermi peur binocher tchèques lédjumes. Li tout rentrait chez li que pour la mangeaille et la dormitouère.

Chébiate s’était jamais acoubié, l’était pas fumellou et l’avait jamais emmené ine boune femme devant le maire. L’avait peut-être tchèques foués été dans le nic d’un autre faire le coucou mais o s’arrêtait là. Pis c’était pas ce tchi voéyait chez ses deux autres copains qui l’aurait fait changer d’avis maème si ine fumelle bein agrâlante (15) aurait essayé de l’amegnouner (16).Chez li ol’té un drigalle pas possible, on peuvait à peine se djiller entre le li, la table, le buffet, les chaises et l’établi piacé au mitant y’où tchi faisait pien de ripes (15)en gossant des bouts de bois.

Yeu benaiserie à tous les trois ol’té de se r’trouver su le banc peur causer de yeux souvenirs, L’étiont hureux quand tchèqu’un tchi counnaissiont s’arrètait peur discuter. Mais le recounnaissiont quasiment pu peursoune O y’avait pien de nouviaux habitants venus dans le péyis pisque l’endret yeu avait sembyé benaise. Mais tchés nouviaux parouèssiens counnaissiont pas la coumune et soun’histouère. Peur nos troés bounhoumes l’étiont pas du péyis. O y’avait maême tchèques mal couchants tchi grimouniont parce que le jau à Tchupiat chantait trop fort et le chein à Têtaut japait tchèques fouès la neue. Tchés monde saviont maême point qu’à coùté de chez yeux y’avait des vielles carrières y’où qu’on peuvait teurjous se peurmener.. C’était pus que des endrets de souvenirs y’où que les anciens aviont misèré peur vivre. Les troès bounhoumes saviont qu’on peuvait encore y lire yeux inscriptions tracées su les parois des tanfiches à l’occasion d’anniversaires ou de borvocheries (17). L’auriont itou pu faire voèr les traces laissés par yeux outils : la pioche, le taillant et la barre à mine. Mais pus peursoune s’intéressait à l’histouère des carrières.

Asteure que le sont défuntés, le banc est teurjous en piace et les drôles gruchont dessus. Y’a pus peursoune peur raconter les carrières. P’têtre qu’un jour des espécialites veindront désabrier la terre peur vouère les traces du travail laissés par nos troés bounhoumes.

(1) Begasser : bégayer.

(2) Natre : entété, rebelle,,rétif.

(3) Barre à louper: Barre d’acier très lourde.

(4) Manille coinché : ancien jeu de carte.

(5) Chaud r’frédi :coup de froid, « attraper froid ».

(6) Abrier :enterré, recouvrir de terre.

(7) Selon une coutume de jadis des carriers étaient parfois enterrés avec leur verre à boire.

(8) Gencer : balayer

(9) Teurluter : briller.

(10) Piumail : aile de canard servant à dépoussiérer.

(11) Traci : trace laissée par le passage.

(12) Chaline : temps orageux.

(13) Abedassée : ronde, bien en chair.

(14) Arou : lascar, haridelle.

(15) Agrâlante : aimable, affable.

(16) Amegnouner : attirer mielleusement, flatter bassement.

(17) Borvocherie : beuverie, arrosage.

Rédaction : Robert Granseigne

Photos : Fonds documentaire de l'APL

Il n'y a pas de métier ni de profession qui n'ait ses grimaces et son jargon.
Christine de Suède

Publié dans Les carrières

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G
Bravo pour cet article ! C'est normal d'utiliser la langue poitevine pour parler de l'histoire locale. Je voudrais bien pouvoir en faire autant !
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L
Merci, ceci est dû à Robert